Histoire
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Connaissez- vous la Comtesse Cécile de Rohan-Chabot ? Son nom ne vous dit rien ? Alors, bonne lecture !
En ces premiers jours d’avril de l’année 1873, Eugène et Valentine Aubry-Vitet étaient venus prendre quelques jours de repos au château de Saint-Germain-lès-Corbeil, loin de la chaleur printanière qui étouffait déjà Paris. Tout le monde était réuni autour de Valentine Aubry-Vitet qui vivait patiemment ses derniers jours de grossesse. Le dimanche 6 avril 1873, elle donna naissance à une petite fille, prénommée Jeanne Pauline Cécile. Près de 3 000 francs furent dépensés chez un spécialiste de la layette à l’anglaise : couches culottes de flanelle, chemises-brassières de toile garnies de valencienne, brassières de flanelle, langes de molleton de laine, bavoirs garnis de festons, corsets premier âge, robes de matinée, bonnets de nuits en croquet, chaussettes de laine, chaussons anglais, bonnets de valencienne … sont par douzaines, commandés.
Les débuts de la vie de Cécile commençaient comme un véritable conte de fées. Quelques semaines plus tard, le baptême de Cécile fut célébré dans la joie générale. Le 22 octobre 1874, madame Aubry-Vitet mit au monde une seconde fille prénommée Jeanne. Le peu d’écart d’âge entre les deux sœurs contribua à les rapprocher. Très complices, elles n’en furent pas moins différentes. Mais Cécile garda tout au long de sa vie l’admiration de sa discrète sœur. Pour servir la famille et assurer son standing, un nombreux personnel était au service de la famille. Cécile fut entourée des soins de sa Nounou Rose, Henriette Damour, sa propre bonne, et de la Fräulein allemande, mademoiselle Sophie Rheinboldt. Elle put également compter sur les services de Léonie qui lui montait le petit-déjeuner dans sa chambre et de Martine, la femme de chambre qui lui arrangeait les cheveux, s’occupait de la préparation de son bain et de la confection de certaines de ses robes.
Cécile, comme toutes les jeunes filles de son rang, fut ainsi modelée au destin qu’on lui prédestinait. En cette fin de siècle, l’élite sociale accordait une grande importance à l’éducation. Rien ne fut négligé, du français aux mathématiques, des langues étrangères (anglais, italien, allemand) à l’histoire en passant par la musique et le dessin, Cécile dut tout maîtriser. Ainsi, chaque jour de la semaine, dès neuf heures et demie, les professeurs défilaient dans la salle d’étude. Le mardi matin, à dix heures précises, monsieur Mainguin faisait son entrée et donnait aux deux jeunes filles des cours d’arithmétique et de géométrie. Savoir tenir une maison, c’était savoir aussi tenir les comptes. En plus des mathématiques, le bon vieux professeur dispensait leçons d’histoire, de littérature et de « curiosités scientifiques ». Cécile reçut également une éducation artistique soignée. Elle prenait chaque jour, à domicile, des cours de piano et enchaînait le samedi matin par ceux de dessin.
Grâce à leur éducation raffinée et après avoir longuement observé leur mère, Cécile et Jeanne exécutèrent leurs premiers pas en tant qu’hôtesses. Elles entretenaient les jeunes filles, et parfois quelques jeunes garçons accompagnant leurs parents. Les visites défilaient et il fallait savoir entretenir toute cette jeunesse et surtout il était nécessaire de savoir composer avec les humeurs de chacun en sachant faire bonne figure. Les sujets de conversation favoris étaient les prochains bals et leurs utilités, les pièces de théâtre et les opéras, les chiffons et les amours… Ce que Cécile appelait « potiner très agréablement ». Ce ne fut pas toujours simple et Cécile culpabilisa plus d’une fois en échouant dans son rôle.
Un maître à danser avait appris à Cécile les pas de danse indispensables à son entrée dans le monde. Il fallait assimiler la valse, la polka, la berlinoise, le quadrille, le pas de quatre… Mais le tennis était son activité de prédilection. En plus du tennis, Cécile pratiquait également l’équitation. Montée en amazone, Cécile suivait les chasseurs à courre. Bien d’autres activités de plein air occupaient Cécile, comme les promenades hygiéniques, ancêtres de notre jogging, la gymnastique et l’hiver, le patinage Le sport était synonyme de santé et de robustesse. Il était impensable pour Cécile de laisser « rouiller » son corps. En cette fin de siècle, l’hygiène corporelle prit un nouvel essor.
Tous les matins, Cécile procédait à sa toilette et plusieurs fois par mois, elle prenait un bain. Coiffeur et pédicure venaient régulièrement à domicile. Bien que ce soit sa femme de chambre qui la coiffât au quotidien, Cécile savait ajouter sa touche personnelle et avait une idée bien précise du « chic » à la française. Quand elle se rendait en vacances à Vittel, Cécile s’adonnait aux plaisirs des douches thermales et des séances de massage.
Tout avait été ainsi orchestré pour que Cécile trouvât l’élu de son cœur. Il ne restait plus qu’à dénicher le bon parti, celui qui conviendrait en tout point, à la fois à la jeune fille, grande romantique, et à ses parents. Elle avait une éducation, une réputation, il ne lui manquait plus qu’un nom. En août 1894, ses parents acceptera qu’elle épousât le comte Gérard de Rohan-Chabot, pourtant sous-lieutenant de Dragons. Ne l’ayant jamais fréquenté auparavant, il fut décidé que Cécile devait apprendre à le connaître. Le projet d’union se confirmant, Cécile devint l’héroïne de la famille, la première à pouvoir convoiter une si belle union, avec l’un des plus grands noms de la noblesse française. Par un froid épouvantable, le mardi 5 février 1895, Cécile parut parée d’une robe signée Worth et d’un voile parsemé de fleurs d’orangers dans la chapelle de la rue de Sèvres. Elle répondit « oui » au comte Gérard de Rohan-Chabot et unissait à jamais son destin au sien.
Cécile était désormais une Rohan-Chabot avec tout ce que cela impliquait. La belle dot qu’offrait Cécile allait servir à redorer le blason de la famille de Rohan-Chabot. Le père de Gérard, le comte Guy, après un mauvais mariage s’était retrouvé ruiné. Mais qu’importe, Gérard était un homme exquis, doué d’une grande culture, d’un bel esprit et d’une extrême intelligence. Dans le contrat de mariage établi en janvier 1895, il était stipulé que Cécile Aubry-Vitet apportait dans sa dot 581 000 francs, somme qui permit l’achat du château de La Motte Tilly en 1910. C’est en cette demeure au cœur de la Champagne que Cécile vécut des jours heureux.
Cécile et Gérard menaient une vie effrénée. Ils étaient de tous les bals, de toutes les fêtes, aussi bien à Paris qu’en province. Ils appréciaient tout particulièrement les soirées costumées où ils se rendaient parés de somptueux habits XVIIIe. A l’Opéra de Paris, ils disposaient de leur propre loge, la numéro 17. Le vendredi soir, Cécile tenait salon littéraire et politique en son hôtel particulier.
Tout ce que Paris comptait de plus en vue venait chez elle. Le couple parcourut la France de château en château et fut reçu par tous les grands noms de la noblesse immémoriale. Lors de ses séjours, Cécile prenait note des plans de table, de la disposition de la décoration, dessinait l’ordonnance des chambres, chipait une recette, conservait les menus. Le comte de Rohan-Chabot fit une brillante carrière militaire, après être sorti de l’école militaire de Saint-Cyr. Il fut nommé lieutenant au 5e dragon, puis capitaine de Cavalerie. Il servit lors de la Grande Guerre. Chevalier de la légion d’honneur, il fut décoré de la Croix de Guerre 1914-1918. Il entra dans l’ordre souverain de Malte dont il devint bailli Grand-Croix d’honneur et de dévotion puis devint président d’honneur de l’association française.
Au château de La Motte Tilly, acquis sans meubles, Cécile pu s’adonner avec plaisir et goût à la décoration des 72 pièces que compte la bâtisse. Elle dirigeait son personnel avec un grand respect et savait donner ordre aussi bien à l’intérieur que dans le parc. Tout passait au crible et rien n’échappait à son œil. C’était tantôt une branche qui dépassait et qu’il fallait tailler, une vigne à traiter, un éclat de peinture à faire disparaître, tantôt des confitures à réaliser, des cuivres à briquer, l’argenterie à polir, des fourrures et pelisses à inventorier et à ranger.
Comblée dans sa vie mondaine, Cécile l’était tout autant dans sa vie de femme. Le 3 janvier 1896, elle donna naissance à une petite fille, prénommée Marie Jeanne Louise Geneviève dite Aliette, qui devint plus tard marquise de Maillé de la Tour Landry, historienne et archéologue, spécialiste de l’art religieux du Moyen Âge. Le 13 janvier 1897, la comtesse de Rohan-Chabot mit au monde un fils, Marie Joseph Thibaud Armand Gilbert. Ce dernier décéda tragiquement au champ de bataille le 16 juillet 1918, âgé de vingt-et-un ans et sans postérité. Elle resta inconsolable de la mort de son fils.
L’insouciance de sa jeunesse n’était plus qu’un lointain souvenir pour Cécile, pourtant la naissance de sa petite-fille Claire-Clémence en septembre 1918 donna un souffle nouveau à la vie, un regain d’espoir. Grand-mère attentive, la comtesse de Rohan-Chabot affectionnait sa petite-fille qui vécut, avec sa mère, chez elle. La comtesse se retrouvait dans sa petite fille à qui elle donna le goût des voyages, de la découverte et des mondanités. Cécile consacra la fin de sa vie à son Salon qui ne désemplissait pas et à la Sauvegarde de l’Art français. La comtesse de Rohan-Chabot rendit son dernier souffle le premier jour de juin 1934, elle avait 61 ans.
Elle fut toujours à la pointe de la mode, d’une grande élégance et d’un raffinement exquis. Malgré les drames et les malheurs par lesquels elle passa, Cécile garda toujours en elle l’espoir d’un jour meilleur…