Histoire

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La Sauvegarde de l’Art français

Photo du bureau de la Marquise avec des libres, bougies, tampons

Impossible de parler du château de La Motte Tilly et de la marquise de Maillé sans parler de la Fondation de La Sauvegarde de l’Art français, institution centenaire au service du patrimoine.

Un peu d'histoire

Les origines

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, en 1921, Edouard Mortier, duc de Trévise, créé une association, la Sauvegarde de l'Art Français pour s’opposer à la destruction ou à la vente à l’étranger d’œuvres majeures du patrimoine français monumental et mobilier. Elle est notamment à l’origine des lois relatives à la protection des trésors nationaux

Grâce à ses interventions auprès des pouvoirs publics et de personnalités d’influence, en utilisant des fonds collectés tant en France qu’aux Etats-Unis, le duc de Trévise est parvenu à sauver de nombreux chefs-d’œuvre parmi lesquels la bastide de Larressingle ou encore de nombreuses statues de la cathédrale de Rouen. Communément appelée « la Sauvegarde », elle se consacre en priorité à la transmission du patrimoine religieux, principalement des églises et des chapelles rurales, à travers toute la France. 

Dès 1925, l’association est reconnue d’utilité publique.

Bureau de la Marquise de Maillé au château de La Motte Tilly
Bureau de la Marquise de Maillé au château de La Motte Tilly

© CMN

Un personnage incontournable

La marquise de Maillé au sein de « la Sauvegarde »

Dotée d’une insatiable curiosité et d’un vaste savoir, la marquise de Maillé en repoussa sans cesse les limites dans le domaine de l’histoire de l’Art et de l’archéologie Imprégnée d’une riche culture classique et biblique, elle lisait et traduisait le latin avec une aisance déconcertante. Ce qui ne l’empêchait pas en outre d’écrire et de parler l’anglais, l’allemand ainsi que de comprendre l’italien.

Ses qualités attirèrent l’attention du duc de Trévise, lointain parent et non moins ami fidèle de la famille du comte de Rohan-Chabot. Il lui confia la vice-présidence de l’association. Elle devint non seulement une amie sensible et secourable pendant les heures de doute et de découragement, mais elle apporta aussi à son génie intuitif et fougueux l’heureux complément de sa propre sagesse et son ordre méthodique.

Le travail ne faisait pas défaut en ces lendemains du premier conflit mondial. Les dommages matériels étaient considérables. La France fut incomparablement atteinte, les combats s’étant déroulés sur une importante étendue de son territoire. Les conséquences financières de la guerre étaient catastrophiques. Le pays dut s’endetter auprès de la Grande-Bretagne et des États-Unis. L’État s’endetta auprès des particuliers. Les efforts de reconstruction se concentrèrent alors tant bien que mal sur la partie dévastée du territoire national, laissant souvent le reste dans un état de délabrement préoccupant. Qui plus est, depuis la séparation de l’Église et de l’État, les églises étaient désormais à la charge des communes. Dans un bilan de l’action de la Sauvegarde de 1921 à 1939, la marquise de Maillé rappelle qu’en France, à la même époque, « la propagande [de la Sauvegarde] s’intensifiait par tous les moyens : interventions constantes auprès des services et collectionneurs étrangers... Dès 1928, plus de mille demandes d’inscription à l’Inventaire supplémentaire avaient été adressées par nous aux services des Monuments historiques… La Sauvegarde ne devait plus, depuis lors, ralentir son activité sur ce plan précis. »

 

Photo de la Marquise de Maillé
Photo de la Marquise de Maillé

© sauvegardeartfrançais

Madame de Maillé accomplissait un travail tout aussi considérable. 

Ses efforts contribuèrent non seulement au renom de la Sauvegarde hors de nos frontières, mais aussi à l’ébauche d’un sursaut national en faveur du sauvetage de notre patrimoine, à une prise de conscience qui allait bientôt se manifester par la création d’associations-sœurs militant en faveur d’autres aspects du visage traditionnel de la France. La marquise de Maillé investissait en effet beaucoup de son énergie à convaincre quiconque autour d’elle que la disparition de la moindre chapelle romane est irréparable. 

Elle n’hésitait pas à demander à ses amis ou relations de la mettre en rapport avec de riches mécènes afin de solliciter leur aide. Ainsi, grâce à M.E. Welles Bosworth, fit-elle la connaissance de John Davison Rockefeller Jr en 1925. Le mérite revient en effet à Madame de Maillé d’avoir su l’intéresser à la restauration des châteaux de Versailles et de Fontainebleau. 

Parallèlement, la marquise de Maillé poursuivait ses propres travaux de recherche, la préparation de ses publications, ainsi que ses fouilles archéologiques. Elle s’intéressait aussi aux travaux des sociétés savantes, relais d’information indispensables à l’échelle locale.

Photo du Château de La Motte-Tilly, bureau de la marquise de Maillé
Château de La Motte-Tilly, bureau de la marquise de Maillé

© David Bordes - Centre des monuments nationaux

Un précieux aide-mémoire

Pendant plus de quarante ans, la marquise de Maillé travailla à l’établissement d’un inventaire du patrimoine architectural des départements de l’Aube, de la Marne, de la Seine-et-Marne et de l’Yonne. 

Elle s’intéressa en priorité à ces églises non-classées construites avant le XIXe siècle dont la protection allait devenir l’un de ses principaux objectifs, répertoriant notamment le mobilier liturgique, ainsi que les immeubles par destination souvent menacés de vandalisme. Elle ne négligea pas pour autant les monuments historiques mondialement connus comme les cathédrales de Reims ou de Sens, ni les édifices profanes dont elle laisse des rapports de visite détaillés. Cet inventaire est comme un aide-mémoire personnel, produit de repérages et de prospections et résultat d’une infatigable volonté de connaître et de comprendre. 

À ce titre, il est d’ailleurs un intéressant témoin des méthodes de travail de son auteur. Ainsi conservons-nous les traces de visites, parfois réitérées, de plus de cinq cents sites : 70 dans l’Aube, 266 dans la Seine-et-Marne, 89 dans l’Yonne et près de 70 dans la Marne. Le tout, distribué par ordre alphabétique à l’intérieur de deux longues boîtes de bois, représente un total supérieur à 2 000 fiches. Chaque visite est soigneusement consignée sur une ou plusieurs fiches de bristol. Le nom de chaque édifice est écrit à l’angle droit, la date de passage est presque toujours précisée à l’angle opposé. De véritables petits dossiers ont ainsi parfois pour objet l’étude approfondie d’un seul bâtiment : un jeu de fiches reliées par un trombone révèle une collection de cartes postales, enrichie de croquis, de plans de la main de Madame de Maillé, de notes profuses détachées d’un petit carnet de poche, de feuilles dactylographiées. Des photographies en noir et blanc illustrent parfois les nombreuses observations techniques, faisant de certains dossiers d’authentiques reportages des interventions de la Sauvegarde de l’Art Français.

Chaise et détail du bureau de la Marquise de Maillé
Chaise et détail du bureau de la Marquise de Maillé

© CMN

La présidente de la Sauvegarde de l’Art Français

Déjà malade, le duc de Trévise partit pour le Maroc à la fin de l’année 1939. De retour à Paris en 1946, il s’y éteignit à la fin de l’été. Madame de Maillé prit alors officiellement en charge la responsabilité exclusive de la Sauvegarde dont elle rédigea les rapports essentiels jusqu’à sa propre disparition en 1972. Maintenue en sommeil pendant la guerre et l’Occupation, l’action de la Sauvegarde reprit, et son indispensable réseau de correspondants se reconstitua. Madame de Maillé repartit à l’offensive, et pas moins de 450 demandes d’inscriptions furent déposées. Si la présidente de la Sauvegarde faisait une confiance vigilante à l’État pour la protection du patrimoine classé, elle accueillait avec satisfaction et soulagement les créations successives d’associations sœurs ayant pour but la sauvegarde des demeures historiques, ou des vieilles maisons françaises… Car, comme l’affirma André Malraux: « Ne comptez pas sur nous pour sauvegarder le patrimoine artistique de la France, cela dépasse nos possibilités. C’est pourquoi nous avons besoin de vous… Au nom de la France, merci ! ».

« La grande pitié des églises de France » était une préoccupation immédiate qui allait orienter le testament de Madame de Maillé. Il impose en effet à la Sauvegarde, sa légataire universelle, comme objectif prioritaire, la sauvegarde et la restauration du gros œuvre des églises rurales non classées, antérieures au XIXe siècle.

Madame de Maillé prit l’initiative de vigoureuses campagnes de presse contre le vol et le trafic du mobilier des églises : « Dans la France entière, les églises se vident. On vend, on disloque des ensembles, on mutile, on relègue sous des combles ou dans des annexes. La Sauvegarde a le devoir de souligner de tels agissements […]. Madame de Maillé n’hésitait pas à prendre position mais elle était aussi parfaitement consciente qu’il est vain d’épuiser toute son énergie sur le même terrain, et l’utiliser en amont afin d’endiguer et prévenir le mal. Elle meurt le 19 novembre 1972 et repose à Taverny, auprès de ses parents et de sa fille.

Objets archéologiques dans une vitrine
Objets archéologiques dans une vitrine

© CMN

Et aujourd'hui ?

« La Sauvegarde » de nos jours

Chaque année, la Fondation attribue en moyenne 1 million d’euros pour la restauration de près d’une centaine d’édifices. Le conseil d’administration de la Sauvegarde décide de la répartition de ses dons après consultation d’un comité d’experts auquel participent d’éminents architectes et historiens d’art. Avec de nouveaux dons et legs la Sauvegarde de l’Art Français peut désormais élargir son action au-delà du seul champ défini par le legs de la marquise de Maillé : églises classées, églises bâties postérieurement au XIXe siècle, éléments peints ou sculptés (fresques par exemple).

Le 27 novembre 2017, l’association devient Fondation reconnue d’utilité publique : la Fondation pour la Sauvegarde de l’Art Français.

Toute l’action de la Sauvegarde de l’Art Français en faveur du patrimoine repose en premier lieu sur les aides bénévoles dont elle bénéficie, à travers toute la France : étudiants en histoire de l’art, venant de Sciences Po, Sorbonne, ESSEC …, des salariés de grandes entreprises, des retraités et bien entendu tous les amateurs d’art désireux de participer.  Leur mission : identifier des œuvres en péril et trouver les moyens de les sauver. Plus de 3 000 participants à ce jour, ont déjà permis la restauration de plus 149 œuvres d’art en réunissant plus de 1 200 000 euros.

En outre, la Sauvegarde de l’Art Français s’applique à faire toujours mieux connaître et apprécier l’existence d’un patrimoine exceptionnel. À cette fin, elle récompense chaque année un travail de recherche en faveur du patrimoine, à l’aide du Prix Maillé, et distingue une restauration exemplaire, à l’aide du Prix Trévise.

Logo de l'association Sauvegarde de l'art français
Logo de l'association Sauvegarde de l'art français

© sauvegardeartfrançais

  • 50 000 000 d'euros octroyés depuis 1972

  • 4 000 chantiers d'églises et de chapelles soutenus depuis 1972

  • 149 œuvres d'art restaurées depuis 2013

Nous devons être fiers et heureux d’aimer ce qui est beau. Et ce que nous aimons, nous voulons le préserver pour le transmettre. C’est là tout le programme de la Sauvegarde de l’Art Français. L’ambition est incontestable mais il faut sans cesse trouver de nouveaux moyens d’y répondre. 

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